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Diversité des sols, du relief et des influences climatiques engendrent des paysages spécifiques. Les castanhals dominent en Segalar où les châtaignons (rufòls, auriòls…) engraissaient les cochons, et l’herbe, le foin des fenials et les patanons permettaient d’élever le veau sous la mère. Le maïs (milh) des terrafòrts ou des ribièiras (Montelhs) engraisse porcs et canards. Le Causse produisait le froment dans ses combas et clops et élevait des brebis (fedas) dans les devesas. Le Vilafrancat exportait le safran, la trufa negra des Causses, les cèpes des Segalars, la noix, le marron de Laguépia, les prunes et les pommes du Viaur…
Occupé depuis le Néolithique, ce territoire fut celtilisé (Rutenas). Les noms en -ac (Cransac, Najac) dérivent du suffixe celte -acos (domaine de) latinisé en -acum. La présence romaine, longuement dominante, se traduit par des noms en -an (suffixe -anum : Galganh) ou en -èrgas, dérivé de -anica (Tolongèrgas, Valzèrgas).
Pendant la période aquitaine, la villa gallo-romaine fut démembrée en manses devenus des mas, et la décadence carolingienne (IXe-Xe s.) favorisa l’émergence de forts appelés pèiras ou ròcas : Concas, fort du Gas (Aubinh), Peirussa, Sant Joan d’Agremont, Corbièira, Najac, Sant Martin de Laguépia et le site du futur Còrdoas. Il s’agit souvent d’anciens caps-barrats ou d’oppida. Peirussa, Najac et Còrdoas deviendront de vrais villages castraux et des sites stratégiques pendant la Crosada contre les hérétiques “albigeois”.
En 1222, Còrdoas sera ainsi fondé à partir d’un castrum par le comte de Tolosa pour protéger ses fidèles. Ces trois sites seront cédés pour cinq ans au roi de France en garantie de la paix après la révolte du Toulousain (1242). Les Najagòls se révolteront à la mort de Raimond VII (1249) et, méfiant, le nouveau maître, frère du roi de France, y établira le donjon gothique et créera la bastida de Vilafranca (1252).
Au bâti militaire correspond un bâti religieux qui s’affirme dans l’art roman avec l’abbatiale de Concas (XIe-XIIe s.), le tympan (“Lo qu’a pas vist portal de Concas (…) a res vist.”), la majesté de santa Fe et autres trésors. Mais ce sont aussi les églises ou chapelles préromanes, comme celles du fort d’Aubinh, de Sant Joan d’Agremont et surtout Tolongèrgas avec ses peintures, ou les églises mixtes conjuguant roman et gothique, comme à Vilanòva (peintures jacquaires du XIVe s., dédicace gothique en occitan, à Aubinh (Christ roman, à Sant Remèsi… La première église paroissiale gothique du Rouergue est celle de Najac, construite, dans un style typiquement occitan, aux frais des Najagòls suspects de sympathies hérétiques (XIIIe s.).
La collégiale (la Grand’ Glèisa) de Vilafranca se rattache à ce gothique dit méridional. La chartreuse du XVe s. et la chapelle Sant Jacme complètent, avec des édifices civils, la série gothique, surtout à Vilafranca (dédicace occitane de l’ostal Rainald, XVe s.) et à Còrdoas. Le château Renaissance de Gravas, les hôtels du XVIe s., les chapelles des pénitents noirs (baroque) ou bleus (classique sont témoins des Guerres de Religion, de la révolte des crocants (1643) et de la Contre-Réforme (début du XVIIIe s.).
L’architecture civile, c’est aussi l’aménagement de castelnòus (Najac), de salvetats (Vilanòva, Najac jusqu’au Borguet), puis des bastidas (Vilanòva, Najac par adjonction, et surtout Vilafranca). La Vila, avec ses quatre gachas (del Gas, de la Glèisa, de la Font / source, del Puèg), sa carrièira drecha, ses cantons, ses carrièirons, son grifol, ses gitats, son pont vièlh (ou dels cossols) et ses òrts est l’exemple même de la bastida qui a réussi.
S’agissant du patrimoine vernaculaire, on trouve autour de Vilanòva et de Vilafranca les lavadors électoraux du candidat Cibiel. Les casèlas des Causses servaient d’abris de pastre, de cabanes de vigne ou de granjon-colombièr.
Omniprésente depuis le Moyen Age, la vigne privilégie le fèr servador ou saumancés autour de Concas, et le còt ou auxerrois (Caors) vers les Causses. Appelé malbèc, on le retrouve, en Galhagués, avec le fèr servador appelé braucol.
Plat emblématique du Rouergue occidental, l’estafin ou estòfinada est préparé avec le stockfish (aiglefin séché), réhydraté, cuit à l’eau, débarrassé des arrêtes et mélangé avec des pommes de terre écrasées (la blanca). On ajoute des oeufs durs et des oeufs frais, assortis d’une persillade, sur lesquels on verse de l’huile de noix brûlante et/ou parfois du saindoux fondu.
Pendant plus d’un millénaire, ce pays a vécu en occitan comme en témoignent les noms de lieux et de familles, la littérature (depuis la Cançon de santa Fe, du XIe s., jusqu’aux félibres et occitanistes des XIXe-XXe s.), les actes publics (chartes, règlements et comptes consulaires, contrats, compois et registres divers jusqu’au XVIIe s.) et les chansons et écrits politiques du XVIIIe s. à nos jours.
Mais c’est aussi la langue de la tradition orale pour évoquer les légendes autour de Gargantuà (Concas, Najac), des fachilhièiras ou du Drac (molin de Narbona), des contes merveilleux (en Conqués, Vilafrancat et Najagués) ou pour chanter la célèbre missonièira de La Bèla Alè qui est aussi Lo pont d’a Mirabèl.
Christian-Pierre BEDEL
Directeur de l'Institut Occitan de l'Aveyron